- Nous ne fêterons plus Noël, annoncèrent les poules.
- Coin!? s’exclama un canard. Mais enfin, pourcoin!?
Les poules pincèrent leur bec d’un air dédaigneux.
- Noël, c’est bon pour les cochons! La fête des poules, c’est Pâques!
- Pâques? Pourcoin, Pâques?
- Meuh c’est stupide, dit une vache.
Mais les poules n’en démordaient pas.
- A Pâques, les Cloches amènent des œufs dans les jardins des enfants, les gens s’offrent des poules en chocolat ou des poussins en sucre, bref, Pâques est la fête où le monde entier célèbre la supériorité de la poule sur le reste des animaux! Non, décidément, Noël est une fête pour les minables, la fête des poules, c’est Pâques! Nous ne fêterons plus jamais Noël! Nous ne vous saluons pas!
Elles tournèrent le dos à la basse-cour et rentrèrent dans le poulailler en marchant comme des reines.

La nouvelle courut à travers la ferme comme une traînée de poudre. Le vieux taureau, sage parmi les sages, décida de convoquer tous les animaux des environs à une réunion exceptionnelle, poules exceptées.
Ils étaient tous là, moutons, canards, chevaux, dindons, vaches, chèvres, cochons, lapins et même deux musaraignes qui grignotaient des croûtes de fromage dans un coin.
Le vieux taureau prit la parole de sa grosse voix bourrue.
- Mes amis, vous connaissez maintenant la situation. Les poules ont décidé de ne plus fêter Noël.
- C’est n’importe coin.
La chèvre haussa les épaules.
- Que pouvons-nous y faire? On ne force pas les gens à fêêêter quand ils ne veulent pas fêêêter. Si elles veulent fêêêter, elles fêêêtent, mais si elles ne veulent pas fêêêter, elles ne fêêêtent pas, c’est tout.
Le vieux taureau regarda les animaux réunis d’un air las.
- Personne n’a donc d’idée pour que les poules se joignent à nous comme chaque année?
Un lapereau leva une patte.
- Moi, si.
- Toi, mon petit? Parle, nous t’écoutons.
- Eh bien voilà…
Les animaux rassemblés se rapprochèrent du petit lapin qui leur chuchota son plan à l’oreille.

Dame Renard regarda son mari, affalé sur sa couche.
- Voilà des jours que nous n’avons pas mangé de viande! Quand donc vas-tu aller chasser à la ferme pour remplir le garde-manger?
Sire Renard s’étira longuement.
- Tu sais bien que si nous chassons à l’approche de Noël, le Cerf-Noël n’apportera pas de cadeaux aux enfants. Il faut patienter pendant la trêve.
- Mais j’ai faim! Mon estomac gargouille tellement que je pourrais avaler un ours en trois bouchées sans parvenir à le satisfaire!
A cet instant, le lapereau entra dans la tanière des deux époux.
- M’sieur Dame, bonjour!
Les renards n’en crurent pas leurs yeux. Ce jeune lapin tombait dans leurs pattes à point nommé!
- Vite, s’écria Sire Renard en saisissant le lapereau par les oreilles, fais chauffer la marmite, notre plat du jour est servi!
- Tout de suite, mon bon Sire, gloussa Dame Renard en se léchant les babines.
- Arrêtez! Au nom de l’Esprit de Noël, lâchez-moi!
Sire Renard, intrigué, posa le lapin sur la table, près des grands couteaux.
- Esprit de Noël? Que veux-tu dire?
- Les poules ont décidé de ne plus fêter Noël, et j’ai besoin de votre aide pour les faire changer d’avis, au nom de l’Esprit de Noël qui lie les animaux du monde entier entre eux. Vous voulez bien m’aider?
Sire Renard réfléchit.
- Dame Renard, éteins le feu sous la marmite.
- Quoi? Mais… Le lapin… Le repas… Mon estomac…
- Eteins le feu te dis-je! Plus de repas qui tienne. Tous les animaux doivent fêter Noël, sinon ce serait trop triste. Allons, petit, je t’écoute.
Le lapereau sourit malicieusement.
- Eh bien, voilà…
Il expliqua son idée d’un bout à l’autre, et, à mesure qu’il parlait, le sourire de Sire Renard s’élargissait.
- C’est une excellente idée, petit, ce sera la peur de leur vie! Prépare-toi, Dame Renard, ce soir nous allons secouer les plumes de nos petites poulettes!

Le soir venu, les deux époux se glissèrent sans bruit dans la cave du fermier. Ils trouvèrent sans peine les deux grands sacs de farine dont leur avait parlé le lapereau lors de leur petite conversation. Ils les éventrèrent avec leurs griffes et se roulèrent longuement dans la farine.
Lorsqu’ils sortirent de la cave, ils avaient l’air de deux renards fantômes…
Ils s’approchèrent alors du poulailler et y pénétrèrent avec fracas.
- HOU! HOU! Debout, là-dedans! L’heure de la revanche des Esprits de Noël a sonné!
Les poules prises de terreur s’aplatirent au sol, ailes jointes, implorant la pitié des fantômes.
- Nous vous en prions!  Epargnez-nous de votre juste colère!
- Silence! (Renard avait du mal à se retenir de rire) Les Esprits de Noël ont entendu votre reniement! Vous ne voulez plus fêter Noël, n’est-ce pas?
- C’est que…
- Silence! Silence! Puisque vous ne voulez plus fêter Noël, nous avons décidé de vous punir pour l’éternité!
- Nous… nous punir?
- Vous punir! A partir de ce jour, et tant que vous ne voudrez pas fêter Noël, vous pondrez… des ŒUFS DURS!
Les poules sursautèrent.
- Pondre des œufs durs? Mon dieu! Ce serait une catastrophe!
Sire Renard recula lentement, glissant sur le sol comme une ombre, imité par son épouse.
- Des œufs durs! répéta-t-il d’une voix d’outre-tombe. Et longtemps vous vous souviendrez de la vengeance de l’Esprit de Noël!
Les deux faux fantômes disparurent dans la nuit, laissant les poules tremblantes et apeurées.
-Nous aurions pu en emporter une ou deux, soupira Dame Renard.
- Allons, ma chère, nous verrons ça après Noël. Je n’ai pas autant ri depuis des années!
Quand les poules entendirent les deux fantômes rire dans la nuit, elles s’évanouirent de terreur.

Vous savez quoi? Cette année-là, grâce à la ruse du lapereau et à la gentillesse des deux renards, les poules fêtèrent Noël avec une joie et une bonne humeur que les animaux de la ferme ne leur avaient jamais connues jusqu’alors!
Et de nos jours, les poules célèbrent encore Noël mieux que personne. Vous voulez une preuve? Goûtez leurs œufs : Ils sont frais!