Petits contes - Un jour, une mouche a éternué...

 

 

Un jour, une mouche a éternué et la terre a tremblé.

 

 

 

1

Un jour, il y a bien longtemps, une mouche a éternué et la terre a tremblé.

 

En ce temps-là, les animaux n’étaient pas encore tout à fait animaux, ni les hommes tout à fait hommes.

Oh, la plupart des animaux se ressemblaient déjà, mais quelques-uns ne se ressemblaient pas. Le lion n’avait pas de crinière, il était complètement chauve. Le crocodile n’était pas le gros lézard tout plat que nous connaissons aujourd’hui, il avait plutôt l’apparence d’une grosse boule écailleuse avec une grande bouche aux dents carrées. L’éléphant, quant à lui, ne possédait pas les atours qui font son charme, point de gros ventre bedonnant, point de trompe ni d’oreilles gigantesques. Il ressemblait plus à une souris géante qu’à un mammouth, vous voyez ?

Bref, les animaux n’étaient pas encore tout à fait les animaux.

 

Notre mouche, par contre, était déjà une bête mouche, petite, noire, deux ailes transparentes, six pattes, voletant partout, y compris dans des endroits qui ne sentaient pas toujours très bon… une mouche, quoi.

 

Et pourtant, ce jour-là, il y a bien longtemps, cette bête mouche a éternué et la terre a tremblé.

 

 

 

2

Les animaux de la jungle se réunirent immédiatement en conseil près de la grande falaise. Ils étaient tous là, girafe, éléphant, gazelle, crocodile, antilope, tigre, zèbre, lion, léopard, singe, gorille, guépard, jaguar, panthère, gnou, et j’en passe. Il y avait même une baleine, au pied de la falaise qui assistait à cette curieuse assemblée.

- Ecoutez tous ! rugit le lion qui, bien que chauve, n’en était pas moins déjà le roi des animaux. Cette mouche a détruit la moitié de vos tanières et quelques centaines d’arbres géants avec un seul de ses éternuements ! Il faut à tout prix l’empêcher d’éternuer de nouveau !

Les animaux présents approuvèrent bruyamment.

 

 

 

3

- Parfait ! continua le lion. Qui est volontaire pour soigner cette mouche ?

Le crocodile en boule avec une grande bouche avança d’un pas sûr au milieu de l’assemblée.

- Je suis volontaire, Sire. J’ai un remède si efficace contre les éternuements que je suis persuadé qu’il fonctionnera même avec une bête mouche.

Le lion chauve serra chaleureusement la patte du crocodile.

- Nous sommes fiers de toi. Reviens lorsque tu auras guéri cette mouche ou ne reviens jamais.

 

 

 

4

Le crocodile en boule avec une grande bouche salua l’assemblée en bombant le torse et s’en fut sans plus tarder vers le logis de la mouche enrhumée.

- C’est bien simple, se dit-il en chemin, je vais avaler cette mouche et elle n’embêtera plus personne, hin hin hin.

Et, très fier de son idée machiavélique, il frappa à la porte du pauvre insecte.

 

 

 

5

- C’est à quel sujet ? demanda la mouche d’une voix enrhumée.

Le crocodile avec une grande bouche salua mielleusement en s’inclinant.

- Bonjour, Madame Mouche, je suis envoyé par les animaux de la jungle pour soigner votre rhume.

La mouche se moucha bruyamment.

- Ah, mon bon Monsieur, cela me cause bien du malheur. J’éternue bien fort, si fort que je crains d’avoir causé quelques petits dégâts aux alentours. C’est à cause des courants d’air, vous comprenez, le moindre souffle de vent me chatouille le cou et me fait éternuer, c’est bien embêtant.

Le crocodile prit un air compatissant.

- Je connais un moyen efficace pour vous soigner, Madame Mouche. Il vous suffit d’entrer quelques secondes dans la chaleur de ma bouche et vous ne serez plus jamais malade.

- C’est bien gentil de votre part, remercia l’insecte en voletant vers le rusé saurien.

 

 

 

6

La mouche entra sans méfiance dans la gueule béante, et se posa sur une large dent. Les mâchoires se rapprochèrent doucement.

- Il y a un courant d’air ici, se plaignit-elle. Ça me chatouille le cou.

Le crocodile haussa les épaules.

- Ce n’est pas un courant d’air, Madame Mouche, c’est ma respiration. N’y faites pas attention.

La mouche secoua la tête.

- Respiration ou courant d’air c’est pareil. Ça me chatouille le cou et le nez, je vous dis.

- Encore cinq secondes, ma chère, et vous serez délivrée à jamais de votre rhume.

Et le crocodile ferma brutalement la bouche.

La mouche se retrouva plongée dans le noir.

- Cinq secondes, d’accord, mais je vous répète que ça me chat… ATCHOUM !

La terre ne trembla pas, cette fois, mais…

 

 

 

7

Le crocodile se sentit brusquement projeté dans les airs. Son corps s’étira démesurément, ses écailles sautèrent, une queue immense et rugueuse lui poussa, et, lorsqu’il retomba au sol, il n’était plus qu’une horrible créature verte toute plate.

La mouche voleta hors de la gueule béante aux dents cassées. Elle s’approcha du crocodile qui gisait parterre , assommé.

- Oh, mon bon Monsieur, je suis désolée de ce qui vient d’arriver, je n’ai pu retenir cet éternuement. Je suis vraiment navrée que votre remède n’ait point fonctionné sur moi.

Le crocodile se releva péniblement, puis s’enfonça à pas lents dans la jungle, où il se cacha de nombreux jours avant d’oser montrer au monde sa nouvelle – et si affreuse – apparence.

 

 

 

8

Mais en attendant, la mouche éternuait toujours au moindre souffle de vent, et la terre continuait de trembler.

 

 

 

9

De nouveau, les animaux de la jungle au grand complet – il ne manquait que le crocodile, vous savez pourquoi – se réunirent près de la grande falaise.

- C’est une catastrophe, grogna le lion. La mouche a détruit tous les habitats de la jungle à un kilomètre à la ronde, fourmilières comprises ! Ça ne peut plus durer !

Girafe, éléphant, rhinocéros, gazelle, antilope, léopard, guépard, jaguar, panthère, zèbre, tigre et baleine approuvèrent avec force.

- Il nous faut un autre volontaire pour s’occuper du rhume de cette mouche ! Qui veut s’en charger ?

L’éléphant, déjà puissant même s’il n’avait ni grandes oreilles ni trompe, avança d’un pas décidé.

- Le crocodile n’est qu’un imbécile, barrit-il de sa voix basse et forte. Je vais la soigner, moi, votre petite malade.

Le lion hocha respectueusement la tête.

- Nous sommes fiers de toi. Reviens lorsque tu auras guéri cette mouche ou ne reviens jamais.

 

 

 

10

L’éléphant pas tout à fait éléphant quitta dignement l’assemblée et se dirigea sans plus tarder vers le logis de la terrible mouche.

- C’est bien simple, songea-t-il en chemin, je vais gober cette mouche, gloup, comme ça elle n’embêtera plus personne, ho ho ho.

Et, très content de son idée, il frappa à la porte du pauvre insecte.

 

 

 

11

- C’est à quel sujet ? demanda la mouche de sa voix enrhumée.

L’éléphant pas tout à fait éléphant leva une de ses grosses pattes pour saluer.

- Bonjour, Madame Mouche, je suis envoyé par les animaux de la jungle pour vous soigner votre rhume.

La mouche se frotta le nez.

- Ah, mon bon monsieur, c’est bien aimable, mais votre serviable ami crocodile n’y est pas parvenu malgré toute sa bonne volonté et son extraordinaire gentillesse. Je ne voudrais pas vous faire perdre votre temps. C’est vrai que mes éternuements ont causé quelques petits dégâts dans les environs, mais c’est involontaire, vous savez, ce sont les courants d’air qui m’enrhument, je ne les supporte pas, vous comprenez ? C’est bien embêtant, dans cette jungle, mon bon monsieur, vous pouvez me croire.

- Tout ceci ne sera bientôt qu’un mauvais souvenir, sourit l’éléphant, je vous le promets. Il vous suffit juste de vous poser quelques secondes sur ma langue et je puis vous garantir que vous ne serez plus jamais malade.

La mouche se moucha bruyamment avant de voleter vers la grosse langue du pachyderme.

- C’est bien sympathique de votre part, dit-elle en se posant, mais faites attention de ne pas respirer trop fort, à cause des courants d’air, ça me chatouille le cou.

- Ne vous en faites pas.

 

 

 

12

Les mâchoires de l’éléphant se rapprochèrent lentement.

- Il y a un courant d’air ! se plaignit la mouche. Vous respirez trop fort. Ça me chatouille et quand ça me chatouille…

- Ne faites pas attention, répondit l’éléphant pas tout à fait éléphant, dans cinq secondes vous n’y penserez plus, ho ho ho.

Et il referma totalement son énorme bouche.

La mouche se retrouva à nouveau dans le noir.

- Cinq secondes, cinq secondes, d’accord, mais moi je vous dis que ça me chat… ATCHOUM !

La terre ne trembla pas, cette fois, mais…

 

 

 

13

L’éléphant se sentit projeté dans les airs, son ventre gonfla jusqu’à ressembler à un énorme ballon. Sous le choc, ses oreilles s’étirèrent et s’aplatirent comme des crêpes géantes, et son nez… Son nez se déroula, se déroula, se déroula à n’en plus finir, comme un long serpent gris.

Lorsqu’il retomba au sol, l’éléphant pas tout à fait éléphant était devenu un éléphant tout à fait éléphant, avec ses oreilles géantes, son gros bidon, et son nez qui pendouillait presque jusqu’à ses pattes.

La mouche voleta hors de la bouche du gros mammifère qui gisait au sol, assommé.

- Je m’excuse, mon bon monsieur, se désola-t-elle. Je n’ai pu retenir cet éternuement un peu fort qui me chatouillait le nez. Je suis vraiment navrée que votre remède n’ait pas fonctionné sur moi.

L’éléphant grommela deux mots incompréhensibles en se relevant péniblement. Il s’enfonça à pas lents dans la jungle, où il se cacha de nombreux jours avant d’oser montrer au monde sa nouvelle – et si étrange – apparence.

 

 

 

14

Mais en attendant, la mouche éternuait toujours au moindre souffle de vent, et la terre continuait de trembler.

 

 

 

15

Encore une fois, le lion convoqua les animaux de la jungle près de la grande falaise.

- Je ne suis pas content du tout ! tonna-t-il rageusement. Non seulement l’éléphant s’est ridiculisé, mais cette mouche a redoublé de puissance dans ses maudits éternuements ! La jungle ne va bientôt plus être qu’un vaste enchevêtrement d’arbres déracinés ! ça – ne – peut – plus – durer !

Rhinocéros, girafe, gazelle, antilope, léopard, guépard, jaguar, panthère, zèbre, tigre et baleine hochèrent la tête avec gravité.

- Qui se porte volontaire cette fois ? demanda encore le lion sans crinière.

Les animaux restèrent silencieux. Personne n’avait plus envie d’affronter le terrible insecte.

- Je vois que tout le monde se dégonfle, gronda le lion. Très bien ! Je vais m’en charger moi-même, de cette stupide mouche, et je ne reviendrai que lorsque je l’aurai guérie ou je ne reviendrai jamais !

 

 

 

16

Le roi des animaux quitta l’assemblée silencieuse d’un pas digne, et se dirigea résolument vers le logis de la petite enrhumée.

- Peste soit de cette mouche, se dit-il en chemin. Je vais la dévorer et elle n’ennuiera plus personne dans cette jungle, grrrr.

Et il frappa furieusement à la porte.

 

 

 

17

- C’est à quel sujet ?, demanda la mouche de sa voix enrhumée.

Le lion sans crinière contint sa rage et se composa un visage doux.

- Bonjour, Madame Mouche, je suis envoyé par les animaux de la jungle pour soigner votre petit rhume.

La mouche renifla bruyamment.

- Ah, mon bon monsieur, les animaux de la jungle sont bien serviables, mais vos deux charmants amis, Messieurs Crocodile et Eléphant, n’y sont pas parvenus, malgré toute leur bonne volonté. Vous risquez, vous aussi, de perdre votre précieux temps. Cependant, au vu des menus dégâts que mes éternuements ont pu causer ces jours-ci, je veux bien que vous essayiez à votre tour, si cela vous fait plaisir. C’est un grand malheur qu’il y ait autant de courants d’air dans cette jungle, vous pouvez m’en croire, c’est comme ça qu’on attrape du mal.

Le Roi des animaux sourit d’un air féroce.

- Vous n’aurez plus mal nulle part d’ici quelques secondes si vous voulez bien venir vous poser quelques instants au fond de ma gorge.

La mouche voleta sans méfiance vers la gueule du lion chauve, et se posa au fond de sa gorge.

- C’est bien gentil de votre part, Sire, mais je ne saurai que trop vous conseiller de respirer avec douceur, à cause des courants d’air.

Le lion ne répondit pas.

 

 

 

18

Il ferma brutalement ses mâchoires et entreprit d’avaler la mouche, coincée dans sa gorge.

- Je sens un courant d’air, se plaignit la mouche. Vous respirez trop fort ! Ça me chatouille le cou !

Le lion déglutit un peu plus fort pour tenter de décoincer l’enrhumée fermement accrochée aux parois de son gosier.

- Eh, cria celle-ci, vous m’entendez !? Votre respiration me chat… ATCHOUM !

La terre ne trembla pas.

Mais…

 

 

 

19

Le lion sentit une explosion dans sa gorge, il ouvrit violemment la bouche et recracha l’insecte. Son cou enfla en une seconde et désenfla tout aussi vite, laissant une terrible trace qui ne s’effacerait jamais : Des poils jaunes hérissés formaient désormais une immense couronne autour de sa tête.

- Je m’excuse, mon bon monsieur, se désola la mouche. Votre souffle m’a chatouillé le cou et je n’ai pu réprimer mon éternuement. Mais cela n’enlève rien à votre gentillesse, je suis sincèrement ennuyée que votre remède n’ait pas fonctionné sur moi.

Sans écouter davantage, le lion se releva péniblement, et, crachant et toussotant, il s’enfonça dans la jungle pour y soigner son cou et sa honte.

 

 

 

20

Malheureusement, la mouche continua à éternuer, des jours durant, au moindre brin de vent, et la terre trembla, trembla, et trembla encore, dévastant la jungle arbre après arbre sur plusieurs kilomètres…

 

 

 

21

Cette fois, la réunion des animaux de la jungle sur la grande falaise ressemblait à s’y méprendre à un conseil de guerre. Tous étaient présents, même le crocodile tout plat, l’éléphant à trompe, gros bidon et grandes oreilles, et le lion à crinière.

- Mes amis, rugit celui-ci, une seule solution à nos soucis : Chassons cette mouche de notre territoire ou massacrons-la !

Les animaux applaudirent à tout rompre.

- Massacrons la mouche ! hurlèrent-ils.

- Massacrons la mouche ! répéta le lion. Suivez-moi !

 

 

 

22

Lorsqu’elle entendit les cris des animaux qui approchaient, la mouche sortit de chez elle et voleta à leur rencontre.

- Bonjour, mes bons messieurs, dit-elle de sa voix enrhumée. Vous êtes bien gentils de revenir pour essayer de me guérir, et soyez bien assurés que j’apprécie vos efforts à leur juste valeur, mais je crains bien qu’ils soient inutiles, avec tous ces horribles courants d’air qui foisonnent dans cette jungle.

Le lion, le crocodile, l’éléphant et tous les autres animaux lui lancèrent un regard noir.

- Massacrons l’éternueuse !

 

 

 

23

La mouche comprit que ses visiteurs n’étaient pas venus pour la guérir, cette fois. Elle trembla de tout son petit corps et prit ses ailes à son cou, poursuivie par les animaux en colère.

 

 

 

24

Elle évita les dents du crocodile, les coups de trompe de l’éléphant et les griffes du lion, mais elle ne vit pas la baleine qui l’attendait au pied de la grande falaise.

Elle fonça droit dans sa gueule béante.

- Je l’ai ! mugit la baleine.

Elle referma vivement son énorme mâchoire et plongea tout au fond des mers.

 

 

 

25

Depuis ce jour, la jungle a quelque peu changé de visage. On y trouve des lions arborant de superbes couronnes de poils, des crocodiles qui trouvent bien pratique leur forme de tronc d’arbre pour se cacher dans les rivières, des éléphants qui aiment se servir de leurs trompes pour attraper leur nourriture et de leurs oreilles pour chasser les insectes qui leur tournent autour.

 

 

 

26

 

Quant à la mouche…

Prisonnière de la baleine, notre mouche vit très heureuse : Au fond des mers, il n’y a pas de courants d’air !

Et quand il arrive à la baleine de remonter à la surface pour respirer ou pour profiter du soleil, la mouche sent son cou la chatouiller, ce qui la fait éternuer. Cela ne déclenche pas de tremblement de terre mais…

 

 

 

27

… de terribles tempêtes !


Date de création : 27/10/2011 ~ 22:03
Dernière modification : 27/10/2011 ~ 22:29
Catégorie : Petits contes
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